Voyons,
que penser quand, alors que vous allez simplement rencontrer votre famille
dans sa maison au village,
vous êtes acclamée comme une star
par des gens qui courent de tous côtés pour vous voir arriver?!
Vous n’y croyez pas, vous ne comprenez pas alors que oui!
C’est pour vous, pour moi en l’occurrence!
Car tout le monde étant au courant de mon existence depuis des lustres mais personne ne m’ayant jamais vue, il fallait que s’exprime l’allégresse, la joie de voir débarquer l’arlésienne que j’étais!
Dans ce village de Dogohiri, dans la ville de Lakota, au milieu de la forêt, une occidentale s’était souvenue de son appartenance au pays des Didas.
Alors dès qu’ils ont appris que nous arrivions, les gens ont commencé à venir, à courir, à crier mon nom!
Quand je suis descendue de voiture,
les gens me prenaient dans leurs bras:
«Ayooo! Ayoka! Ayokakakaka!!!».
L’émotion était si forte que les larmes ont naturellement commencé à couler sur mes joues, mon cœur battait la chamade. Et tous criaient, riaient. Toute émue, je dus prendre la parole pour les remercier de leur accueil. J’avoue que les mots m’échappaient alors je suis restée simple en les remerciant tous pour cet accueil hors normes.
Comme je suis occidentale, je suis considérée comme une personne très délicate, fragile même. Jusqu’à présent, je ne pensais pas l’être mais la suite de mon séjour m’a bien fait comprendre quelle illusion était la mienne! Toujours est-il qu’à peine arrivée, il fallait absolument que je m’asseye: j’étais forcément fatiguée de la route et de tout ce voyage! Et j’entrais alors dans la pénombre du salon familial pour me rafraîchir. Divers membres de la famille étaient présents, tous mes frères et sœurs plus certains oncles et tantes. Ils venaient me parler mais comme aucun visage ne m’était connu, j’avais bien du mal à retenir leur prénom.
Aujourd’hui, je ne me souviens plus vraiment de qui était présent ce jour-là,
heureusement une vidéo en a conservé quelques traces.
Mais par contre,
je me souviens très bien que peu de temps après notre arrivée,
une bonne partie du village vint s’installer en rond devant la maison paternelle afin d’assister à ma présentation.
J’étais assise entre Dan et mon père et ce dernier commença à parler...
Il se mit à raconter notre histoire non commune en Dida, le dialecte de notre ethnie : les Didas.
Un «traducteur» reprend toute l’histoire racontée et transmet les sentiments qu’elle lui a inspiré à l’assemblée ou en tous cas à celui à qui elle est destinée. Notre traducteur, en l’occurrence un homme fort, plutôt trapu, à la voix puissante, nommé Claude, nous transmettait toute l’histoire en français.
Mon père parlait le dida d’une voix lente,
fatigué qu’il était par une crise de paludisme qui l’avait pris juste avant mon arrivée,
par le voyage pour venir me chercher et par son âge: 62 ans.
Par moment j’entendais sa voix trembler d’émotion et sans comprendre, ma propre émotion montait en écho jusqu’à mes yeux.
Enfin, je compris toute l’aberration qu'engendre l'ignorance et l'incompréhension:
ma soeur et moi, pour des motifs variant avec l'âge, refusions d'envoyer de simples photos à notre père par peur,
par exemple,
de la sorcellerie,
ou encore par un détachement fort cruel pour lui.
Pendant tout ce temps, il fut considéré par toute sa communauté comme un menteur, il fut ridiculisé, moqué. Personne ne voulait plus croire qu'il avait effectivement été marié en France, qu'il y avait eu deux enfants, car les photos qu'il avait étaient vieilles, et pourquoi, si nous étions bien ses enfants, n'aurions-nous pas voulu lui donner de nos nouvelles?
Tout à coup, je me sentis honteuse d’avoir été si aveugle à la douleur de mon père,
c’était son intégrité qui était attaquée à cause de notre inconséquence!
En venant enfin le voir dans sa ville, je venais de réparer des années de moqueries, je venais de le rétablir dans sa dignité d’homme qui a fait «Le Voyage» en occident, qui a séduit une femme blanche malgré sa peau noire et qui en a eu deux beaux enfants. C’est éminemment important en ces contrées.
J’ai pleuré à chaudes larmes dans ses bras,
les gens criaient, riaient et se levaient à tour de rôle pour venir nous saluer.
Je fus présentée aux dignitaires du village de Dogohiri dont mon père est le chef, et chacun m’accueillit avec des mots insistant sur mon appartenance à cette terre rouge du pays Dida, me remerciant de m’être souvenu que quelque part en Afrique, existait des membres de ma famille, de mon ethnie.
Le soir, j’entrais plus en contact avec les filles de la famille.
Elles commencèrent à entonner des chants religieux avec Emmanuel le musicien.
Elles ont dansé alors j’ai dansé avec elles et j’ai chanté avec elles jusqu’à fort tard dans la nuit.
Les chanteurs et chanteuses du soir