Au petit matin, c'est à dire vers 5h, mon père se réveille et tout le monde avec !
Radio Lokoda (ce qui veut dire: "les éléphants sont là") est allumée et crie à tue-tête.
Dans la levée du jour,je découvre mon père en train de se raser sur la terrasse.
Là, bien souvent, nous commençons à discuter, à nous découvrir.
Sacrés moments que ces matins-là...
Ce sont mes plus émouvants souvenirs.
Parfois, il sortait des photos comme celle-ci:

Mon grand-père, Kouabo Guizot ou plutôt Guisso (ce qui veut dire en dida: "le bras de la panthère"!) avec son chapeau à la Al Capone!
Papa nous avait envoyé une photo de notre grand-père il y a longtemps, en costume de ville avec ce même chapeau, son visage à l'expression dure surmontée de ce chapeau me faisait vraiment penser à un mafieu, à un gangster.
Je pense qu'il devait vraiment dégager quelque chose de très impressionnant, de fort, de dur.



Le grand-père ses femmes et tous ses enfants.
Nous sommes issus d'une famille de guerriers sans doute très forts car, d'après ce que m'a raconté Papa, du temps de mon grand-père, nous possèdions toutes les terres qui soutiennent les villages formant Lakota!
Et la ville en regroupe des dizaines, environ 40 comptant à peu près 50 000 habitants. Admiratifs des occidentaux ayant débarqués en Côte d'Ivoire et sans doute soucieux d'entrer dans leurs bonnes grâces, ou encore, pour aider la population locale, le grand-père a commencé à distribuer les terres familiales pour que les français construisent un hôpital, des écoles,des bâtiments gouvernementaux. Il en a donné beaucoup, peut-être trop, sans penser assez à ses descendants d'après ce que j'ai compris.
C'était donc un personnage important de la vie de la ville.

Habillé en tenue traditionnelle, Grand-père vient de recevoir une médaille d'honneur pour avoir permit la construction d'un lycée sur ses terres.
Chef et patriarche de tribu , même chose au niveau familial.

Le voici avec de gauche à droite: mon père, ma tante Agnès, un oncle que je ne connais pas et ma tante Tina la pétulante.
En résumé, voici ce que j'ai découvert à propos de ma famille, loin d'être de simples paysans, nous sommes donc issus d'une lignée de guerriers.
Cela m'a beaucoup touchée, quelque chose s'est légitimé en moi: la rebellion qui m'a animée durant des années et la guerre qu'elle engendre pour rester intègre.
Je suis issue de guerriers!
Cela dit, en dehors de l'aspect de force intérieure que cela implique, je doute que ce côté de l'identité familiale soit réellement sympathique!
A la guerre, ajoutez l'animisme et je conçois que ce contexte soit effrayant.
Mon grand-père fut animiste la majeur partie de sa vie, sur le tard, il se convertit au christianisme, la peur de l'enfer dû devenir plus forte que sa foi ancestrale. Je n'ai pas pu réunir beaucoup d'informations sur le sujet, manifestement Papa n'en discutait guère avec lui. Pourtant, de mon point de vue, c'est un sujet important pour cette société, la religion en général est d'ailleurs très importante pour les Ivoiriens.
Papa est un fervent chrétien du reste, même si ma mère ne l'a pas connu sous cet angle.
En tous cas, le grand-père a voulu transmettre son savoir, mon père refusa et toute cette connaissance fut enterrée avec "le vieux".
J'ai raté la rencontre avec mon grand-père à quelques années près, il est mort avant le début du 21ème siècle.
Papa nous a envoyé la cérémonie de l'enterrement: elle tenait sur 2 cd!! C'est quelque chose un enterrement en Côte d'Ivoire!
J'aurais vraiment voulu le rencontrer même si je ne le savais pas à l'époque car il était un précieux témoin de l'histoire de notre famille et de l'histoire de la Côte d'Ivoire.
Après mon arrivée, j'ai éprouvé le besoin de me recueillir sur sa tombe, pas d'un point de vue religieux, non, j'ai ressenti comme un appel. Il fallait que j'aille me présenter au grand-père, personne ne l'avait fait. Alors un matin, après m'être habillée de vêtements ivoiriens, je suis allée sur sa tombe, avec Dan et Armel mon petit frère. Elle est juste derrière la cuisine, envahie par les déchets et les sacs plastiquesjetés non loin de là. Il faisait encore nuit quand nous sommes sortis. J'ai demandé à Armel de venir car je voulais lui montrer que même venant d'ailleurs, j'avais du respect pour mon aîné, j'avais un lien, Armel est un rebelle, un peu de pédagogie me semblait utile.

Sur la tombe de mon grand-père, attentive à tout.
J'avais demandé à Armel de balayer la terre autour de la tombe car je voulais poser mes pieds nus sur le sol. Comme je m'étais méchamment fait piquer peu de temps auparavant, j'étais méfiante. Il a également allumé une bougie. Et j'ai attendu. J'ai attendu un signal, le quelque chose qui m'avait fait déplacer.
J'ai vu le soleil embraser le ciel et j'ai compris ce que je devais faire: ériger une barrière autour de la tombe du grand-père afin de la protéger des poubelles. J'ai chargé Armel de la faire avec l'aide du jeune garçon en résidence chez Papa, nommé Armand. Ce dernier lui montrerait comment couper le bambou.
Finalement en raison de diverses péripéties, c'est Armand et moi qui avons monté cette palissade. Je ne sais si elle est toujours debout.
Sa tombe n'était pas très respectée, je crois que la famille n'appréciait pas beaucoup le grand-père, et puis, il appartient au passé maintenant. J'ai retrouvé de très vieilles photos de lui dans une vieille valise toute cassée oubliée dans un coin de la cuisine. Des photos qui avaient pris l'eau, collées, déchirées, grignottées.
Voilà, j'ai fait ce que j'avais à faire à ce moment là:
je me suis présentée au mort à défaut de l'avoir été au vivant.